À Theux, il y a 200 ans… L’abbé Jehin, l’éternel persécuté



(Première partie)

Chevalerie de l’ordre du Chuffin, Section histoire
Jehin abbé, Pays de Franchimont N° 513 – FEVRIER 1989

L’abbé Jehin, membre d’une très ancienne famille theutoise est une des figures les plus brillantes et certainement la plus originale de la Révolution au pays de Franchimont. Son action patriotique, ses écrits virulents, ses audaces, ses démêlés homériques avec les autorités font de sa vie un roman aux rebondissements incessants.

Thomas Joseph Jehin est né à Theux, le 10 juin 1732 dans une famille aisée.

À 18 ans, après ses études, il entre comme religieux à l’abbaye bénédictine de Saint-Hubert où il va rester 13 ans. Il s’y fait remarquer par son habileté et son intelligence mais de graves différents l’opposent à l’abbé Nicolas Spirlet[[Nicolas Spirlet : dernier abbé de Saint-Hubert né à Olne. En 1794, à l’arrivée des Français, il s’enfuit à Montjoie où il meurt le 16 septembre.]] à qui il reprochait ses activités politiques, ses dépenses inconsidérées et surtout son autorité trop despotique. Dom Spirlet pour le mater le fait enfermer dans une cellule, chaîne au pied et gardé nuit et jour. Jehin parvient à convaincre son geôlier de sa bonne foi et ainsi à s’échapper et il se rend à Rome pour réclamer justice. Le nonce apostolique de Cologne est chargé d’une enquête et Nicolas Spirlet est condamné à payer une rente alimentaire de 700 livres à Jehin qui ne touchera jamais rien et ne cessera de réclamer, même sous le régime français, cette pension.

De 1764 à 1772, Jehin va séjourner à Rome, à Paris, à Naples et à Vienne où il passera deux ans. En juillet 1772, il rentre dans sa famille au pays de Franchimont. Il obtient du pape Clément XIV de devenir prêtre séculier et en 1778, il est nommé vicaire à Oneux, où il ouvre également un pensionnat.
Mais en 1783, il est accusé d’avoir vendu un petit ciboire donné à la chapelle. Il parvient à se disculper mais dégoûté, il transfère son pensionnat à Theux où il accueille 40 élèves.

En novembre 1784, le magistrat le charge d’établir une école publique.

En 1785, c’est l’affaire des privilèges des jeux à Spa et également à Theux et les interdictions qui s’ensuivent. Jehin part alors en guerre contre ce qu’il estime être des injustices et avec d’autant plus de virulence que son frère a des ennuis à Spa à ce sujet et que l’un des propriétaires de [Waux-Hall-Wart196] de Theux est son cousin germain.

En février 1786, il commet l’imprudence de distribuer à Liège un méchant pamphlet contre le prince-évêque , “Cri général du peuple liégeois”. Pour éviter l’arrestation, il se réfugie à Aix-la-Chapelle, puis vient s’installer à Cornesse, au duché de Limbourg. Il s’y croit en sécurité mais violant la territorialité du Limbourg, donc des Pays-Bas Autrichiens, le procureur-général Freron et quelques hommes armés viennent l’arrêter, l’emmènent à Liège à la prison Saint-Léonard où, le 3 mai de cette même année, il est enfermé dans une cage en fer avec comme voisins un ancien officier devenu fou et une pauvre vieille femme incarcérée depuis 10 ans.

L’intervention énergique du maïeur de Soiron[[Hubert Dehousse maïeur de la cour de justice de Soiron dont dépendait Cornesse.]] et celle du vicaire de Cornesse[[Henri Joseph Débouche né à Grand-Rechain en 1738, vicaire à Cornesse, ami de Jehin dont il partageait les idées, devint vicaire puis premier curé de Dison.]] auprès du gouvernement général autrichien de Bruxelles vont obtenir sa libération dès le 28 juin. Et à nouveau il prend la route de Vienne où il est reçu par l’empereur Joseph II qui lui promet de faire droit à ses réclamations. Une promesse qui ne sera jamais tenue, l’empereur ayant à ce moment d’autres soucis. L’abbé Jehin se fera justice à sa manière en écrivant ses Mémoires, un manuscrit de 2.400 pages où il dévoile toutes les turpitudes des grands personnages qu’il a rencontrés dans sa vie.
Interdit de séjour dans la principauté de Liège, il habite Herve, il y est instituteur et collabore à des journaux révolutionnaires, attendant l’heure de pouvoir rentrer au pays de Franchimont, ce qui arrivera en août 1789.
Mais son histoire ne s’arrête pas ici et la période nouvelle qui débute va lui valoir encore bien des aventures et des persécutions. (à suivre)

Pour les Chroniqueurs du marquisat:

A. Gonay.

À Theux, il y a 200 ans… L’abbé Jehin, l’éternel persécuté



(Suite)

Août 1789, la Révolution, l’abbé Jehin quitte Herve et retrouve son pays de Franchimont, il obtient un poste d’instituteur à la Fondation de Sclessin à Spa tout en continuant son action politique.

Mais en janvier 1791, le retour du prince-évêque, ramené sur son trône par les Autrichiens, le force à reprendre le chemin de l’exil: il se réfugie à Givet où il devient le vicaire à la paroisse Saint-Hilaire.

Fin 1792, suivant les armées victorieuses de Dumouriez, il rentre à Spa, il est député à l’administration et partisan acharné du rattachement à la France : «Pour moi, je prêche partout: ou François tu seras ou esclave ! ».

Ce retour à Spa est de courte durée, la victoire des Autrichiens sur la France en mars 1793 le jette à nouveau sur les routes étrangères et il se réfugie à Givet, puis à Paris. Là, il court les administrations pour déposer des mémoires, il sollicite les personnalités pour se faire verser les pensions qui lui sont dues, il participe aux réunions révolutionnaires et préside l’assemblée des Liégeois, Franchimontois et Lognards exilés.

Il a prêté serment à la République et se prévaut de son titre de prêtre assermenté. Son frère Jean-François l’a accompagné à Paris et trois de ses neveux combattent dans les armées de la République.

Les derniers mois de 1794 voient la fin de ce chasse-croisé: les Français sont installés en Belgique pour une dizaine d’années et Jehin reprend son poste à l’institution de Sclessin. Il a ramené de Paris sa servante Catherine qu’il présente comme Mme Jehin. Mais surtout, il continue à traquer toutes les injustices. Il préside la première séance de l’administration de Spa où il prône : « Recherches faites et à faire des prévarications commises par les administrateurs des communes de Spa, Theux, La Reid, Sart, Jalhay et Polleur», puis il prend pour cibles les agents nationaux mis à la tête du canton « gens incultes et incompétents au passé souvent réactionnaire ».
Cet acharnement va provoquer, en août 1795, son arrestation par l’administration française.

Il est conduit à Aix-Libre[[Aix-la-Chapelle ainsi dénommée à cette époque d’anticléricalisme. Aix est à ce moment le centre administratif dont dépendait le pays de Franchimont avant la création des départements.]] et jugé et condamné à un mois de détention. On l’enferme à Spa[[Certains affirment qu’il aurait été enfermé au château de Franchimont, c’est peu probable après le pillage de 1794.]] et il parvient à se faire libérer.

Réfugié à Liège, il y est arrêté et enfermé à « Léonard »[[Prison de Saint-Léonard: disparition du saint pour la même raison.]]. La véhémence de ses réclamations est telle qu’on finira par le libérer avant le terme de sa condamnation. Et c’est un nouveau pamphlet: « Assassinat juridique de la liberté d’opinion, commis contre le Cen Thomas Jehin, instituteur, détenu dans les prisons d’Aix, de Spa et de Liège ».

Son âge et ses mésaventures ne l’ont pas calmé, il a des démêlés avec les autorités du département de l’Ourte au sujet de la Fondation Sclessin où il enseignera jusqu’en 1804.

Il entretiendra une correspondance avec L.F. Dethier, devenu député au Conseil des Cinq-Cents à Paris et, dans ses lettres, pestera contre les arrivistes, réclamera contre des retards de paiements et sollicitera des appuis pour des membres de sa famille.

En 1799, il est en mauvaise santé et ne quitte pratiquement plus sa maison ou son école.

En 1804, il a une altercation avec le curé de Spa qui lui a refusé la communion, il écrira donc à l’évêque et obtiendra réparation.

II va encore une fois étonner son monde par la fin de sa vie.

En 1805, il se retire dans une cellule rue du Moulin à Spa et y rédige une sorte de confession : La Clé du Ciel, une quinzaine de poèmes, une sorte de confession… par laquelle il désavouait tout ce qu’il avait pu écrire ou faire contre la religion catholique et il s’engageait à mourir en bon chrétien ; ce qu’il fit le 4 vendémiaire de l’an XIV (26 septembre 1805).

Que penser de ce curieux personnage ? L.F. Dethier lui a rendu un hommage indirect en plaçant dans une série de personnages remarquables : « l’abbé Jehin, ancien bénédictin, à présent instituteur et publiciste». Pour A. Body, Jehin est un affamé de notoriété qui en rejetant l’habit ecclésiastique a surtout renoncé à ses vœux d’humilité ! Joseph Meunier écrit : « C’est un honnête homme. Il avait peut-être la manie des interventions mais surtout l’instinct de la résistance et la lutte contre les malhonnêtes». Et le docteur Tihon dit : « l’examen de ses écrits révèle un publiciste convaincu, sincère, érudit et fécond».

Quoiqu’il en soit, durant toute sa vie tumultueuse de religieux, de prêtre séculier, d’instituteur, d’homme politique et de pamphlétaire révolutionnaire, Jehin s’est montré un défenseur acharné des Droits : des siens, de ceux de sa famille et de tous ses concitoyens ; pour ces droits il a lutté avec une fougue parfois excessive mais non sans courage. Il a mérité de figurer dans la galerie des hommes illustres de notre histoire locale.

Pour les Chroniqueurs du marquisat : Chevalerie de l’ordre du Chuffin, Section histoire, A. Gonay.

Chevalerie de l’ordre du Chuffin, Section histoire

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