DENIS BRUYÈRE ET L’ATELIER DE SASSOR

Pour chacun d’entre nous, le centre du monde, c’est en définitive l’endroit où l’on vit et d’où on saisit ce qui se passe ailleurs. Dans certains cas, cela se concrétise d’une manière particulière en fonction d’un rayonnement extraordinaire. C’est assurément ce qui se passe à Theux pour Denis Bruyère. Cet ébéniste-créateur, né en 1957, a fait ses études en design industriel à Saint-Luc Liège et les a complétées par une formation en sculpture ornemaniste avant d’ouvrir, en 1980, un atelier de restauration de mobilier ancien, ce qui lui a permis d’héberger et de « soigner » des pièces d’une qualité exceptionnelle. 1994 marque un tournant dans l’activité de Denis Bruyère, qui, conscient de la valeur des techniques traditionnelles de son métier, décide de les appliquer à la création contemporaine. Des objets puis des meubles qui sont autant de pièces uniques vont ainsi naître et témoigner de la richesse d’un patrimoine artisanal susceptible de s’adapter à notre époque.

Boîtes et coffrets à secret d’une inventivité aussi subtile que la finesse du travail de marqueterie qui les habille vont ainsi ouvrir la voie à la création de meubles étonnants par la qualité et l’originalité de leur conception comme de leur réalisation. Des expositions en Belgique mais aussi à l’étranger ont fait connaître le travail de celui que Julos Beaucarne a surnommé « le couturier du bois ». C’est ainsi que Christopher Payne, expert en mobilier et sculpture chez Sotheby’s à Londres et à la BBC, l’a repéré à Paris alors qu’il cherchait depuis plus de deux ans un créateur de haut niveau capable de réaliser un meuble hors du commun selon le souhait de Mme Lewis, directrice de la collection du même nom. On se souvient du résultat, qui fut exposé avant son départ pour les Caraïbes en 2003: le bureau Bernard-l’Hermite, inspiré de la forme de coquillages et pour lequel Denis mit au point des instruments et traitements inédits.

C’est ensuite une famille irlandaise qui s’est adressée à Denis Bruyère pour la création d’une œuvre monumentale destinée à prendre place dans son château. Les contacts aboutirent à un concept novateur : « Mon idée, explique l’artiste-ébéniste, fut de créer une mégapole moderne en trois dimensions et à l’échelle de la pièce qu’ils m’avaient présentée. Quinze buildings leur donneraient l’impression de se promener dans une ville qui pourrait figurer New-York ou Chicago. Ils furent immédiatement séduits par le concept, d’autant plus que le nom de l’œuvre, A New Town, s’intégrerait parfaitement à leur demeure, qui s’appelle Martin’s Town.»

Pour pouvoir réaliser cette commande, Denis Bruyère a agrandi – en bois – l’ancienne grange qui, à Sassor, constitue son atelier. C’est là qu’on a pu voir, au début mars, les sept éléments déjà réalisés qui allaient partir en Irlande. Il y avait de quoi avoir le souffle coupé devant la hardiesse de conception de chacune de ces tours, la lecture allusive ou symbolique qui peut se faire à travers les formes, la marqueterie et les sculptures, la finesse du travail jusque dans ses moindres détails, la mise en œuvre de matériaux divers, car si le bois reste évidemment privilégié, le verre, la pierre et le métal y trouvent aussi leur place. Mais il y a un autre résultat à cette œuvre prestigieuse et auquel Denis tient énormément, c’est la naissance de ce qu’on peut désormais appeler l’Atelier de Sassor, qui regroupe déjà autour de lui des professions très spécifiques : scieur de bois, menuisier ébéniste, sculpteur, fondeur de métaux précieux, métalliseur, ferronnier, verrier, peintre, éclairagiste. Il faut voir là une garantie de sauvegarde d’un savoir-faire minutieux et précieux, véritable patrimoine qui prolonge les plus fines traditions artisanales dans la création contemporaine.

www.denisbruyere.com

Albert Moxhet, Pour Le Pays de Franchimont d’avril 08

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