Il est malaisé de rester à Theux sans être obsédé par la pesante silhouette du château de Franchimont. Image écrasante qu’on retrouve dans beaucoup de pages de l’histoire de la Principauté épiscopale de Liège, portant la marque de Guillaume de la Marck, Sanglier des Ardennes et Souverain-Mayeur de la Cité de Liège. Franchimont a passé de mains en mains — si l’on peut ainsi s’exprimer — au gré des initiatives ou des tractations d’un Louis de Bourbon et consorts.

Secouons-nous, voilons-nous la face et remontons le Wayai pour atteindre Marteau, ce hameau qui ne garde qu’un nom, mais qui nous a laissé des souvenirs remontant à des temps presque héroïques. Époque des bas-foyers que les Romains avaient déjà perfectionnés et qui fondaient les minerais de Franchimont pour en faire des plaques de foyers et de potagers, des « poêles-à-taques », des chaudières, des marmites, des figures plates, des vases et même de petits canons avec leurs boulets de deux, trois ou quatre livres.

Le Wayai, comme la Hoégne, était garni de fourneaux et de marteaux-pilons qui donnaient à la région franchimontoise un caractère industriel. On connaît plusieurs dessins du maître florentin, Remigio Cantagallina (1), venu aux eaux de Spa en 1612, qui représentent plusieurs de ces fourneaux. L’un de ces dessins porte cette mention pittoresque : « A Franchimont où on fait le sulfaro ou vitriol, 5 août 1612 ».

Maintenant que la vallée est pacifiée — comme le vieux château — quittons Marteau pour atteindre l’entrée de Spa, cet ancien bourg aristocratique. Devant nous s’allonge, filant en ligne droite, l’avenue Reine Astrid. Du côté droit, nous apercevons un modeste panneau qui annonce la proximité de l’Ecole Hôtelière de Spa. Innovation tant attendue, signe des temps. Pour faire le point, pour juger en connaissance de cause et pour mesurer le chemin parcouru depuis le temps des lourdes marmites de fer sorties des fonderies de Franchimont, il nous faut pénétrer dans ce temple nouveau style.

Comme par hasard, nous y retrouvons un homme de Theux, Monsieur Gabriel, qui, lui aussi, a remonté le Wayai et qui veut bien nous recevoir, sabre au clair. Homme nouveau, esprit audacieux, caractère efficient même dans son intransigeance, il nous apparaît comme le Directeur qu’il fallait pour promouvoir et surtout pour défendre, pied à pied, cet établissement professionnel dont la Perle des Ardennes rêvait depuis tant d’années. Alors que nous n’avions jamais connu que du personnel formé au petit bonheur et pas toujours heureux dans ses manières de faire, voilà que nous disposons enfin d’une École de l’État, spécialement outillée pour éduquer les candidats à l’hôtellerie. Nous avons deviné cette formation dès notre premier contact avec ces jeunes tout de blanc vêtus, affairés, studieux, consciencieux, désireux de travail. ler vite et bien.

Ils sont actuellement 125 élèves à peupler les cuisines, les salons, les restaurants et les classes. Car, il y a de véritables cours, avec de vrais tableaux noirs, pour compléter fort judicieusement la formation professionnelle. Spa, l’antique Cité des Bobelins, a dé passé le stade où l’on se contentait de goûter la soupe à la louche et où la civilité demeurait le privilège d’élus. Maintenant, tout est agencé rationnellement en vue d’un résultat maximum. On y apprend à exercer un métier qui est passionnant et diversifié à l’extrême, on s’y impose de soutenir sa propre formation technique par l’étude des langues étrangères, des sciences, du français, de la morale. Ceci est un aspect des choses qu’on n’avait jamais abordé autrefois et qui peut exercer une influence de valeur. Car, enfin, il faut bien admettre que, de nos jours, si on apprend beaucoup à faire, on néglige trop souvent le point de savoir pourquoi on le fait.

L’occasion nous a été donnée de recueillir le jugement d’anciens élèves ayant déjà fonctionné en France, en Suisse et en Belgique. Nous avons décelé, dans leur regard, le respect de leur profession et la fierté de réussir. Ils sont les premiers fruits d’une éducation nouvelle et les premières promesses d’un enseignement qu’il nous appartient d’étendre et de développer.

Nous avons vu à l’œuvre le contingent actuel. Chacun à sa place, accomplissant son travail correctement, jouant le rôle souhaité dans un minimum de bruit. Spectacle encourageant pour nos yeux du bon vieux temps, de ce temps où tout était laissé au hasard et où seuls réussissaient ceux-là qui bénéficiaient, dès leur départ, des contingences scolaires nécessaires à leur envol personnel et privilégié.

Il nous revient qu’un troisième bâtiment s’élèvera bientôt aux côtés des deux existant déjà, ce qui portera à 200 le nombre des élèves admissibles. Nous souhaitons grand succès à cette ruche en blanc qui remplace judicieusement la fourmilière noire du Wayai theutois aux lourdes marmites de fer.

Pierre LAFAGNE.

Source: « Pays de Franchimont »

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