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Pour nous qui vivons le siècle de l’énergie nucléaire et des armes atomiques, des bombes H, des fusées sur la lune, etc, autant d’épées de Damoclès suspendues sur nos têtes, ce mot légende fera, certes, figure d’anachronisme; cependant, chers lecteurs, ne croyez-vous pas que dans le maquis de ces inventions aux noms barbares qui nous submergent, le récit d’une simple et naïve légende serait une heureuse diversion?

Connaissez-vous l’histoire du Genévrier qui, quoique bien mystérieuse est, paraît-il, authentique et se situe au temps où notre pays de Franchimont était couvert de forêts aussi impénétrables que giboyeuses.

Le druidisme qui, durant des siècles était resté la religion des populations Celtiques qui occupaient la Gaule avant la conquête des Romains, tombait peu à peu en désuétude. Si l’arrivée des Romains contribua fortement à cette disparition, certaines de ces pratiques superstitieuses et démoniaques ne disparurent que très lentement.

Au XVe siècle dans nos campagnes, on se livrait encore à la fête rappelant les cérémonies du gui, l’an neuf. La verdure perpétuelle du gui du chêne était considérée comme l’emblème de l’immortalité de l’âme et de l’éternité du monde. La récolte de la verveine et du mouron d’eau employés dans la médecine druidique s’accompagnait généralement d’un cérémonial et formules des plus bizarres. Les anciennes méthodes concernant le culte du gui, furent reportées en faveur des genévriers qui, jadis, pullulaient sur notre terre franchimontoise. Le produit résineux, âcre et d’un goût aromatique qui exsude du genévrier, (peu d’pèket), substance qui, de nos jours porte le nom de sandaraque, était alors des plus sacrées.

Au cours des sacrifices humains et de l’incinération de leurs morts, nos ancêtres brûlaient des branches de cet arbuste dont l’arôme, prétendaient-ils, plaisait aux dieux. Plus tard, la croyance populaire assurait que les mauvais esprits, ainsi que tous les microbes de maladies contagieuses étaient totalement écartés par la fumée dégagée par ces branches. En guide d’enseigne, les débitants de boissons suspendaient au dessus de leur porte d’entrée une branche de cet arbrisseau, dont les baies entraient dans la fabrication de diverses mixtures.

Les Romains, qui empêchaient l’exercice du culte druidique en arrivèrent à l’extermination des druides, des prêtresses, et soldats; mais certains des plus puissants cachés dans les forêts, échappèrent aux massacres. Un de ces derniers, possesseur d’un grand pouvoir occulte, avait trouvé refuge dans nos forêts franchimontoises, entre Sassor et Polleur, où il séjourna quelques années; dans la crainte de ses sortilèges, la population environnante n’osait trahir le secret de ses différentes cachettes.

Il paraît que son pouvoir démoniaque lui permettait de transformer ses malheureuses victimes en arbuste qui, en l’occurrence était toujours un genévrier. L’habitant qui résistait à ses ordres subissait maints sévices cruels allant jusqu’à la métamorphose.

Cette situation pénible s’éternisant, le nombre de métamorphosés en genévrier se multipliait et bien des familles pleuraient la disparition d’un des leurs. Ce pénible état de chose créa une nouvelle coutume dans la contrée: passant devant un genévrier, le Franchimontois qui n’était jamais certain q’il s’agissait oui ou non d’un être humain transformé à l’instigation du vieux druide, avait pris l’habitude de s’arrêter et de se signer.

Un jour, le bruit se répandit dans la région qu’un vieux pèlerin très érudit séjournait depuis peu à Stavelot. Cette nouvelle incita un theutois dont un frère venait encore de disparaître mystérieusement, à rendre visite au saint homme afin de lui révéler les turpitudes commises par ce suppôt de l’enfer et lui demander s’il n’aurait pas le pouvoir de neutraliser les incantations et les transformations opérées par cet homme infernal.

Après avoir écouté attentivement le theutois, le pèlerin promit d’aller se rendre compte de la situation, à condition que, pour ne pas éveiller la méfiance du druide, sa présence dans le pays ne serait pas ébruitée.

A son arrivée chez nous, la vue du nombre considérable de genévriers garnissant nos bois le laissa perplexe. Faire un choix judicieux pour découvrir sûrement parmi ceux-ci, les genévriers susceptibles de cacher des malheureux métamorphosés était pour ainsi dire impossible et exigeait de procéder à de sombres coupes.

Le pèlerin jugea qu’avant d’engager les hostilités et contrecarrer les maléfices du druide, il était nécessaire de découvrir les secrètes formules cabalistiques employées par lui. Une lutte sourde et sans merci s’engagea alors entre l’esprit du bien et l’esprit du mal, qui finit par être jugulé. Cette victoire provoqua la fuite du sorcier qui disparut de nos contrées au grand soulagement des Franchimontois.

Grâce à sa persévérance, le pèlerin était parvenu à connaître les paroles magiques qui devaient se prononcer lors du déracinement de l’arbrisseau présumé cacher une victime.Cependant, rien de les distinguant des autres, on fut donc obligé d’en faire une véritable hécatombe.

Les siècles se succédaient et nos genévriers, parures de nos forêts franchimontoises, demeurés victimes du mauvais sort jeté sur eux par le druide avant sa fuite, disparaissaient inexorablement de nos régions.

Il y a à peine deux siècles, on attribuait encore à ces arbrisseaux un pouvoir maléfique connu et utilisé par quelques adeptes de la magie noire.

Vers 1768, une femme connue pour ses pratiques diaboliques, tenait non loin de Remouchamps, un estaminet où par son pouvoir satanique elle obligeait les attelages à chevaux, bœufs ou ânes qui passaient devant son débit, à stopper subitement; malgré les cris et les coups des conducteurs, les bêtes ne se décidaient à démarrer que lorsque les charretiers s’étaient désaltérés et surtout… avaient payé sans trop récriminer leurs consommations à la mégère.

Il paraît que ces stations forcées étaient provoquées par la présence de quelques baies de genévrier qu’elle triturait à sa façon et dissimulait sur la route.

De nos jours, cette malédiction du druide qui s’acharne sur ces arbrisseaux cause leur disparition progressive.

Il y a quelques années, l’administration des eaux et forêts avait décidé de réserver une parcelle de terrain pour y créer et protéger une petite plantation de genévriers et empêcher si possible la disparition complète de ces arbustes qui, depuis se rencontraient nombreux dans nos forêts.

Espérons que le triste destin de nos genévriers finira par être vaincu et qu’un jour nous verrons reparaître dans nos bois, ces gracieux arbustes qui jadis émaillaient nos sombres forêts du vieux pays de Franchimont.

Source Pays de Franchimont mars 1959

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