A Theux, il y a 200 ans… Laurent-François Dethier
Le juriconsulte et l’homme politique.



Chevalerie de l’ordre du Chuffin Section histoire

Comme la date fatidique du bicentenaire de la Révolution de 1789 approche, il est temps de parler de celui qui fut le moteur de ce grand mouvement d’idées non seulement à Theux et au pays de Franchimont mais également à Liège et même à Paris. La biographie de Dethier n’est peut-être pas aussi pittoresque que celle d’un Jehin ou même d’un M. Fyon, mais elle est toute faite d’intelligence, de sincérité et de droiture qui lui ont permis de surmonter nombre de difficultés.

Laurent-François Dethier est né à Spixhe (Theux) le 14 octobre 1757 dans une maison qui existe encore bien que totalement restaurée, d’une famille aisée. Son père Gilles était échevin à la cour de Justice de Theux et avait été bourgmestre en 1754 et un de ses oncles maternels Nicolas Fréon le sera, lui, en 1773.

Tout de suite il s’avère un élève assidu d’abord à Theux, puis à Verviers, à 14 ans il se rend à Saint-Trond où réside un autre oncle, le chanoine Dom Fréon qui semble avoir pris en main son éducation. Là il apprend entr’autres le latin et le … flamand. Il poursuit ses études à Louvain et finalement à l’université de Reims où il obtient en 1780 le diplôme de licencié en droit.

Sur les conseils de son oncle Dom Mathieu Fréon devenu directeur des Dames de Robermont à Liège, il ouvre un cabinet en Pierreuse à Liège. Partisan convaincu des idées nouvelles qui commencent à se répandre en Europe, il affiche de suite des idées libéralistes.
A Theux, il est devenu échevin comme son père et il mène une lutte pour la rénovation de la magistrature conservatrice de Jean-Philippe de Limbourg. Il est secondé par ses amis politiques L.N. Depresseux et M. Fyon, il rallie à sa cause des personnalités comme de Hansez, Dandrimont, les Delrée et autres. Il sympathise même avec Robert de Limbourg dont les idées sont à l’opposé de celles de son frère et qui communique à Dethier sa passion pour les recherches scientifiques et surtout la géologie.

En 1786, son parti remporte les élections, ce succès sera contesté un temps par ses adversaires mais enfin le 17 avril 1788, il devient à 31 ans bourgmestre de Theux en compagnie de Pascal Douguet et à la tête d’une administration (Régence) entièrement réformatrice. Theux devient donc ainsi la première commune « révolutionnaire » dans une légalité totale. Et ce sera à ce titre qu’elle décidera le 9 août 1789 de convoquer une assemblée de toutes les autres communautés du marquisat encore elles sous régime conservateur, pour mettre fin aux abus du pouvoir épiscopal et reconquérir les anciennes libertés supprimées au cours du XVIIe siècle.
Ce sera le 26 août, la première séance de l’Assemblée franchimontoise, mieux connue sous le nom de Congrès de Polleur car elle a lieu dans une prairie non loin de l’église de Polleur. Dethier y prononce le discours d’ouverture ; lors de la seconde séance, il propose une déclaration des Droits de l’homme et du citoyen qui sera adoptée lors de la troisième séance.
Dethier sera ensuite élu député au Tiers-État à Liège où il représente le marquisat et il partage son activité politique entre Liège et Theux. Mais en janvier 1791, l’ère révolutionnaire subit un temps d’arrêt, les troupes autrichiennes ont rétabli le prince-évêque de Hoensbroeck sur son trône et Dethier doit s’enfuir à l’étranger pour aboutir finalement à Paris.
Rentré à Theux fin 1792, à la suite de la victoire des Français à Jemappes, il reprend son action qui sera concrétisée par l’assemblée des habitants de Spa et de Theux tenue le 23 décembre au Waux-Hall de Theux et où seront émis les fameux «Vœux solennels pour la Liberté et l’Égalité des hommes, pour la Souveraineté du peuple et pour le rattachement à la France ».

Ces vœux resteront lettres mortes à la suite de la victoire des Autrichiens en mars 1793, du second retour du prince-évêque. Dethier qui est un des premiers sur la liste des proscrits regagne Paris où il prend part aux travaux de la Convention française, les Franchimontois étant considérés comme Français, il fait également partie du club des jacobins.
La situation se renverse à nouveau, les Français ont défait les Autrichiens, Dethier et tous les exilés rentrent dans leurs foyers. Il occupe de suite un poste important, il est nommé , par l’administration française, agent national à l’arrondissement de Spa, en 1795 il est juge de paix de ce même arrondissement et en 1796, juge au tribunal civil de Liège.
Le 14 avril 1798, il est élu député au Conseil des Cinq-Cents à Paris où il va résider et où il épouse le 19 janvier 1799 Anne-Marie Lejeune, originaire de Visé. Son travail ainsi que celui de tous ses collègues sera brutalement interrompu par le coup d’Etat du 18 Brumaire (le 9 novembre). Bonaparte prend le pouvoir, Dethier révolutionnaire convaincu et intègre dont les idées n’ont jamais variés durant tous ces événements refuse de se soumettre au nouveau régime du premier consul. Il restera cependant encore quelques mois à Paris où naîtra son premier enfant Aristide, le 13 juin 1800; puis il rentrera au pays.

A 43 ans, sa vie politique prend fin, à l’exception d’un petit épisode en 1830.
Pendant ces 20 années, il s’est montré un homme énergique, actif, une personnalité accusant un dynamisme et un esprit de suite remarquable, qui a réussi à faire du pays de Franchimont la principale place d’arme du parti démocratique dans l’histoire révolutionnaire du pays de Liège. Ce qui expliquerait la phrase qu’aurait prononcée Merlin, président de l’Assemblée française, au moment des adieux aux Franchimontois qui quittaient Paris : « Ce que la France a été pour l’Europe, le pays de Liège l’a été pour la Belgique et le pays de Franchimont pour le pays de Liège »

Revenu de Paris fin 1800, Laurent-François Dethier abandonne totalement la politique, et son attitude résolument hostile à celui qui allait devenir l’empereur Napoléon va lui fermer l’accès à tout poste officiel. A 43 ans, il va orienter sa vie vers trois pôles : sa famille (1), il aura quatre enfants ; son métier d’avocat et surtout sa passion pour les sciences naturelles, particulièrement la géologie, passion qu’il a héritée de son maître et ami Robert de Limbourg. Il ouvre un cabinet d’avocat à Malmedy où la République vient d’installer un tribunal de première instance et sollicite, sans succès semble-t-il, le poste de greffier.

En 1802, on le retrouve à Paris pour … «faire éditer un ouvrage intitulé Coup d’œil sur les volcans éteints de la Kill supérieure (2) et il adressera une notice imprimée à ce sujet à une série de personnalités politiques et savantes comme Lucien Bonaparte ou encore le sénateur Monge (3).

En 1803, il publie Essai de carte géologique et synoptique du département de l’Ourte avec « une esquisse géologique d’une partie des pays d’entre Rhin, Meuse et Moselle ». Il collabore avec le Spadois J.-L. Wolff, peintre et minéralogiste et ensemble sortent divers ouvrages, Dethier se chargeant du texte et Wolff de l’illustration.
En 1806, il rentre à Theux et habite la gentilhommière de la Boverie (4) et bientôt rouvre la fameuse carrière de marbre noir située derrière chez lui. Il parvient à donner une sérieuse instruction à ses fils qui étudient au lycée de Liège, grâce à des bourses leur octroyées par l’intervention de leur oncle maternel, Pierre Lejeune, devenu officier supérieur sous l’Empire. 1814-1815, Dethier voit enfin avec soulagement arriver la fin de la dictature napoléonienne et ne peut s’empêcher de rédiger un libelle dans lequel il dit espérer que les Franchimontois pourront reprendre le cours interrompu de leur idéal de liberté et trouveront les moyens de le faire triompher. A cette même époque, il écrit au gouverneur, au nom du roi de Prusse, des pays du Bas-Rhin et du Rhin-Moyen auquel notre région aurait pu être rattachée, mais il est surtout question de découvertes et recherches minéralogiques dont ce haut personnage semble féru.

Sous le régime hollandais, il sollicite, à nouveau en vain, une chaire de minéralogie à l’université de Liège, il propose aux autorités un plan pour la réorganisation de l’instruction pour la rendre « plus simple, plus claire et plus attrayante au peuple et pour répandre dans la multitude le goût pour les sciences et les arts ». Il a toute une série de projets : cartes en relief, formes expérimentales à établir par chaque province, création de professeurs ambulants (inspecteurs de l’instruction publique), leçons publiques et gratuites de dessin ; pour la région de Spa : établissement de bains minéraux froids et chauds, des boues minérales, établissement d’un médecin inspecteur des eaux minérales chargé d’en faire l’analyse et la promotion. Exposition annuelle pendant la saison des eaux des produits des beaux-arts et de l’industrie de la province de Liège, etc., et un plan général de la reconstruction des maisons incendiées (1807) en espaçant des habitations riantes et les entourant d’arbres et de jardins champêtres. En 1818, lors de promenades avec son fils Aristide, il remonte le ri d’Oulneux (actuel Ninglinspo) et découvre cette série de cuves creusées dans la roche qu’il baptisera Chaudière et Bains de Diane et il prône des mesures pour faciliter l’accès au moyen « de sentiers le long de ces raretés et sur la crête des collines qui les entourent».

Les journées de septembre 1830 ne pouvaient laisser insensible le vieux lion révolutionnaire. Il accepte la charge de bourgmestre, premier citoyen de Theux en cette période nouvelle comme il l’avait été lors du changement de régime en 1788-1789. Il est élu membre du Congrès national à Bruxelles qui va décréter l’indépendance de la Belgique ; fidèle à son idéal républicain il votera contre l’institution d’une monarchie constitutionnelle adoptée par 174 voix contre 13 à la république. Après ce vote, il se désintéressera de la nomination d’un chef d’état. «Pour moi, après le refus de la république, je ne puis prendre aucun intérêt à toutes les tracasseries pour des rois dont je ne me soucie nullement » et il sera absent lors de l’élection de Léopold Ier.

Début 1832, il abandonne son poste de bourgmestre après un an de prestation, comme cela se faisait anciennement au ban de Theux, et il retourne à ses chères études. A 75 ans, il continue à s’intéresser aux sciences naturelles, au folklore, au dialecte wallon, aux recherches historiques. Les dernières années de sa vie seront très paisibles, aux côtés de son épouse, heureuse et fière de cet époux modèle, il s’éteint le 1″ juillet 1843 en sa demeure de la Boverie et est inhumé dans le vieux cimetière de Theux. Sur sa tombe, on peut encore mais difficilement lire la liste de ses titres : jurisconsulte et avocat, ancien membre du corps législatif de France (conseil des Cinq-Cents) et du Congrès national de Belgique, décoré de la croix de fer, ancien juge à la Cour suprême de Liège, plusieurs fois bourgmestre et le dernier échevin de la Haute-Cour de justice du ban de Theux, correspondant de l’Académie celtique de Paris et autres sociétés savantes.

A. Gonay.

Pays de Franchimont, N°518 – JUILLET 1989

ANNOTATIONS
-1. L’aîné Théodore-Aristide, né à Paris en 1800, mort à Theux en 1871, célibataire, deux jumeaux nés à terme en 1802 : Guillaume-Salomon, mort avant 1817, Corneille-François, en vie en 1835 ; une fille Marie-Jeanne Désirée, née en 1808, décédée à Theux en 1849, célibataire.
-2. Kyll : rivière allemande de l’Eifel se jetant dans la Moselle près de Trêve.
-3. Monge (1745-1818) mathématicien français, participa à l’expédition d’Egypte.
-4. Ancienne maison Naveau, actuellement La Mésangère, elle avait été construite en 1774 par son oncle Nicolas Fréon.

Retour en haut