Marteau, cet oublié

A des amis de Spixhe

MARTEAU. LIEU ET FAMILLE

Petit hameau de Spa, ne comportant qu’un petit nombre d’habitations, Marteau n’est plus aujourd’hui qu’un carrefour où les automobiles passent en trombe sans se douter qu’elles défilent devant un morceau important de l’histoire du marquisat de Franchimont. Si la bourgade est restée fournie, elle n’en porte pas moins un nom qui, à lui seul, est comme une odyssée qui nous fait inévitablement penser à Spixhe, hameau de Theux. En nous référant aux analyses des étymologistes les plus divers, on arrive, pour Spa, à la conclusion qu’il s’agit d’un terme hydrologique. Pour Spixhe, il semble qu’on n’ait pu retenir que des hypothèses basées sur des radicaux latins allant de « spica » (épi) à « specus » (grotte).

Ce qui passionne notre divertissement d’aujourd’hui, ce n’est pas l’étymologie, mais plutôt le lien qui rattache Spixhe à la Porallée, dont nous avons tout récemment évoqué l’histoire. Ce lien, c’est la famille de Marteau, aujourd’hui éteinte à Theux où elle vécut pourtant depuis les premières années du XVe siècle. Nous avons rappelé l’aventure de cette curieuse Porallée qui possédait son « haut-forestier » ou — comme on disait autrefois — son haut- gruyer ». Or, c’est précisément la famille de Marteau qui, depuis cette époque lointaine, détenait le titre héréditaire de cette fonction. En effet, c’est Henry de Marteau qui, le 2 décembre 1412, devant la Cour féodale à Liège, fit relief de la foresterie de Franchimont et aussi du moulin banal de Spixhe (1). Le forestier portait aussi le titre de « Haut-Gruyer de la Porallée miraculeuse Dieu et Saint-Pierre et commune Saint-Remacle ». Le dernier à porter ce titre fut Lambert-Jean-Joseph de Ma rteau (1718-1802), jurisconsulte et qui fut plusieurs fois bourgmestre de Theux (2). La famille de Marteau possédait un blason qui est décrit ainsi :

Armes : écartelé au 1 et au 4 d’or à la fasce échiquetée de trois traits d’argent et de gueules, au lion issant de gueules qui est La Marck, au 2 et au 3 d’argent à la croix engrèlée de sable qui est Grégoire de Sart cantonné au premier quartier de sable au pal emmanché et couronné d’or.

Heaume : couronné

Cimier : le marteau et l’écu

Pour revenir à la PORALLEE, nous avons fait allusion, il y a peu, à la multiplication des juridictions dont il fallait tenir compte dans l’administration et la surveillance de cette contrée continuellement contestée. Nous notons, au passage, un autre aspect de cet imbroglio dans les formalités que devait remplir le forestier au moment de son entrée en fonctions(3).
Il devait prêter serment devant :

1.la haute Cour de Theux, en qualité de forestier de Franchimont ;
2.la Cour de la Boverie à Theux, en qualité de forestier de la Porallée liégeoise ;
3.la Cour combinée de la Boverie, en qualité de forestier de la commune Saint-Remacle ;
4.la Cour de Remouchamps assemblée pour la circonstance, sur le pont de Remouchamps, à genoux, la tête nue, les doigts levés, comme forestier des Porallée luxembourgeoise et limbourgeoise.

Pierre LAFAGNE.

1)« La Noblesse Belge » (Annuaire de 1896)
2)Ph. de Limbourg : « Lettres et Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution liégeoise » (1919).
3)Ref. « La Noblesse Belge ». Nous voyons encore que Philippe de MARTEAU avait épousé, en secondes noces, Judith de Presseux dont le trisaïeul, Englebert de Presseux, avait épousé Jeanne de la Marck. Nous avons déjà évoqué la famille de Presseux dans «Mélanges historiques et familiaux».

Marteau, cet oublié

I I

PHYSIONOMIE DU TEMPS

Il suffit d’avoir une idée, même élémentaire, du système économique de l’époque féodale pour réaliser tout ce que pouvait donner de puissance et d’influence à une famille le fait de détenir à la fois le droit privilégié, héréditaire, de chasser sur tout le territoire de la foresterie, de bénéficier des amendes perçues et aussi le droit d’exploiter le moulin banal où les manants de la juridiction étaient tenus de faire moudre leur grain moyennant une redevance dont l’importance restait à la merci du suzerain, sans appel possible.

Les 15e et 16e siècles furent très durs pour les populations de partout et de même pour les gens du pays de Franchimont. Dans notre revue générale de l’histoire, nous n’avons guère le choix quant à l’image que nous devons garder de Charles le Téméraire. Il reste un incendiaire conscient et forcené, un organisateur sadique et rageur des carnages. Ses « performances » dans le marquisat de Franchimont ont provoqué des « trous » dans nos archives. Rien que dans le seul domaine des vieilles pierres tombales du pays de Spa (1), on ne peut pas ne pas remarquer que, si la plus ancienne pierre remonte à 1486 (P.Ph. Colin), la « deuxième » connue est de 1603 (Marie van Hontsum). On devine qu’entre ces deux dates, il y eut bon nombre de dévastations systématiques. On retrouve d’ailleurs ce même phénomène en ce qui concerne nos archives.

En 1580, les Espagnols ne valaient guère mieux. Commandés par le capitaine Alonzo de Peria, ils firent irruption chez nous et commirent les pires excès ; ils réquisitionnèrent vivres et boissons, puis ils mirent le feu à bon nombre de maisons. Spixhe, notamment, ne garda aucune maison debout. Le comportement de ces troupes était si brutal, si cruel, si injuste qu’un habitant, Antoine de Marteau, fou de désespoir, se jeta sur les Espagnols qui l’assassinèrent sans plus. Philippe II, comme Charles le Téméraire et bien d’autres encore, auront beau expliquer tout ce qu’ils voudront devant le tribunal d’Histoire. Il n’en reste pas moins que ce que les Franchimontois retiendront d’abord, c’est tout le mal qu’on leur a fait.

Quant au 17e siècle, il ne valut guère mieux. Il donna aux Français eux-mêmes l’occasion de nous laisser des souvenirs sanglants. Charles-Denis de Beaurieux — dont nous évoquerons le talent en fin de cette étude — nous a laissé des dessins qui montrent les ruines de Malmédy et de Stavelot incendiées par les soldats de Catinat, en 1689, ce maréchal de France qu’on surnommait le « père de la pensée ». Il n’en reste pas moins que, dans son registre, le curé de Spa écrivit cette phrase qui se passe de commentaires : « Le 15 may les François qui avoient entré en quartier d’hiver le 22 novembre 1679 sont enfin sortis. Dieu nous fasse la grâce de ne les plus rappeler par nos péchés et de ne les jamais revoir qu’en paradis… ».

Pierre LAFAGNE

Marteau, cet oublié
Ill

L’INDUSTRIE METALLURGIQUE

Au 17e siècle, l’industrie du fer était encore active dans notre région. Toutefois, les établissements de Sambre et Meuse commençaient à concurrencer sérieusement les nôtres qu’ils allaient, un jour, éclipser totalement. Ce phénomène économique s’expliquait aisément. D’une part, nos minières s’épuisaient, ce qui tarissait les sources d’approvisionnement en minerai de fer et, d’autre part, l’utilisation du charbon comme source d’énergie provoquait le déplacement des centres industriels. Chez nous, on en restait toujours au bois…

Au moment du déclin de notre industrie métallurgique, Theux et Spa possédaient une génération d’hommes spécialisés dans le travail du fer. Pour survivre, ces hommes en vinrent à se louer à des entreprises étrangères. Les maîtres de forges eux- mêmes s’intéressaient de plus en plus à l’industrie des nouveaux centres plus riches en minerai de fer et plus proches des exploitations charbonnières. Dans le très intéressant ouvrage de Jean Yerneaux (1), nous avons retrouvé des noms bien de chez nous et notamment :

En 1652, Robert de Sclessin possédait des forges à Theux.

En 1687, le marteau Goffin, à Marteau, appartenait à François de Sclessin, maître de forge à Spa.

Marteau faisait partie de la région dans laquelle, au 15e et au 16e siècles, on était autorisé à « faire des charbonnières. C’était l’époque industrielle de la région. Il y avait notamment un fourneau, une forge et une venne en Hola (1450), plusieurs fourneaux à Winamplanche, un autre à Tolifaz (1519), un fourneau au Marteau Goffin, un fourneau au Marteau Bredar, une forge et un fourneau en Speay (1540), ainsi qu’à l’endroit, près du Parc de Sept Heures, qui a gardé sa « Rue du Fourneau ».

Hola était situé à la Fagne Raquet, à Marteau, près de la route de Winamplanche. On y trouvait une forge et un fourneau à fondre la mine de fer (1512). Aujourd’hui, l’endroit a gardé le nom de « Thier dè Fornai ». La forge et le fourneau furent démolis en 1700. Une vue à l’encre de Chine, datant de la fin du 17e siècle, montre l’importance de ce petit hameau qui comportait six bâtisses.

Divers renseignements nous éclairent grâce à une étude de l’historiographe Albin Body (2). C’est ainsi qu’on sait que des fourneaux, des fonderies, des marteaux à fer étaient installés tout le long de nos cours d’eau (Hoégne, Amblève, Lienne).

Parmi tous ces établissements, nous nous attardons spécialement au marteau PIROTTE, origine du hameau actuel de Marteau, lequel comportait « 6 cheminées et qui, en 1576, portait le nom de MARTHEA-PIROTTE ». Nos archives révèlent notamment que Collin-Leloup, échevin de Spa, réclama, en 1575, une enquête en vue de connaître ceux qui avaient été enlever « les poutres et les planches du Marteau Pirotte ».

Joseph Body (père d’Albin) a laissé un dessin montrant les vannes et forges de Marteau en 1840, le tout fut démoli en 1852. On connaît aussi un dessin du général de Howen (1837) qui représente la forge de MARTEAU, près de Spa (3).

Pierre LAFAGNE. 111

Marteau, cet oublié
IV

SOUVENIRS PAR L’IMAGE

A côté d’un passé de fer », Marteau fut et reste un beau coin entouré d’un décor boisé impressionnant. Pour justifier cette appréciation, on peut se fier au coup d’oeil des artistes. Parmi ceux du 17e siècle, où figuraient Cornélis Coquelet, Xhrouet, Jean et Pierre Gernay, Renier Roidekin et les Leloup, il y avait aussi Charles-Denis de BEAURIEUX qui occupa une place de choix dans l’histoire de l’artisanat spadois de l’époque. Son rôle et son influence furent de premier ordre, sa réputation le plaça au premier rang des dessinateurs de la petite école spadoise. On connaît de lui des albums contenant des centaines de vues « dessinées sur les lieux et mises au net par M.-A. Xhrouet ».

CHARLES-DENIS de BEAURIEUX témoignait d’une affection prononcée pour ce coin merveilleux Marteau-Winamplanche-Creppe. Le chevalier de Limbourg, historien de Theux, a d’ailleurs consacré une étude révélatrice à cet artiste dont l’un des dessins est précisément intitulé « VEUE DU MARTEAU, HAMEAU DE SPA » (1). Cette étude apporte un témoignage contemporain vraiment navrant sur « l’état pitoyable de la région comprise entre Franchimont et Stavelot aux derniers temps du 17e siècle, siècle de fer désolé par les calamités de la guerre ».

Le même historien a aussi consacré une étude au testament de Charles-Denis de Beaurieux (2). On y lit que notre artiste chargeait son cousin, Thiry de Presseux, ancien bourgmestre de Spa, « de régler comme il le trouverait à propos le sort de son hérédité ». Et Philippe de Limbourg d’ajouter aussitôt ces mots significatifs : « En pays franchimontois surtout, c’était ouvrir large la porte à de merveilleuses chicanes ». Pour notre part, si nous pouvions nous permettre de faire un rapprochement avec les innombrables contestations que nous avons relatées il y a peu, à propos de l’ouvrage du Dr Thiry, nous serions tenté de dire que la clause en question risquait de donner naissance à une Porallée de Beaurieux».

Nous avons bien connu le bel immeuble de style Louis XVI qui s’élevait à l’entrée de Marteau, là où l’ancienne avenue de Marteau opère son premier virage. Cette maison avait été bâtie par ordre des Etats du Pays de Liège pour percevoir les droits de Barrière (1782). Sous l’Empire, cette habitation avait été acquise par le célèbre industriel John Cockerill, puis, en 1841, elle passa à la famille Massenge de Stavelot. Elle fut démolie en 1942.

Aujourd’hui, l’entrée de Marteau présente un aspect entièrement différent : il y a une ligne de chemin de fer avec son viaduc ; il y a des files interminables d’automobiles ; il y a la nouvelle route qui reliera bientôt Spa-Monopole à Marteau où seront déversées les cohortes d’imposants camions. Tous ces véhicules passent en trombe, quotidiennement, sans un regard, sans une pensée devant ce Marteau qui n’est plus rien qu’un carrefour, mais qui fut autrefois un lieu d’importance.

Pierre Lafagne

1)Ph. de LIMBOURG : « Un recueil du dessinateur spadois Charles-Denis de Beaurieux ou le Parc National de Spa filmé au XVlle siècle » (1939).
2)Ph. de LIMBOURG : « Le Testament du peintre spadois Charles-Denis de Beaurieux » (Liège, 1942).
actuel de Marteau, lequel comportait « 6 cheminées et qui, en 1576, portait le nom de MARTHEA-PIROTTE ». Nos archives révèlent notamment que Collin-Leloup, échevin de Spa, réclama, en 1575, une enquête en vue de connaître ceux qui avaient été enlever « les poutres et les planches du Marteau Pirotte ».

Joseph Body (père d’Albin) a laissé un dessin montrant les vannes et forges de Marteau en 1840, le tout fut démoli en 1852. On connaît aussi un dessin du général de Howen (1837) qui représente la forge de MARTEAU, près de Spa (3).

Pierre LAFAGNE. 111

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