Notre patrimoine architectural

LA CROIX DEMAISON DANS LE STANEUX.

Les familiers de la forêt de Staneux ont peut-être, un jour aperçu lors de leurs pérégrinations, une petite croix de bois, peinte en blanc, fichée dans un rocher, à l’écart de tout chemin et portant l’inscription suivante : « Priez pour le repos de l’âme de Jean Demaison, décédé ici le 26 mai 1908 à l’âge de 68 ans »[[Cette croix est située sur le versant ouest du bois, à hauteur de l’ancienne gare de La Reid, à quelques dizaines de mètres du chemin principal qui traverse le Staneux.]].
Jean Demaison était né le 7 mai 1840 à la Gleize et avait épousé Marie-Elizabeth Dumont née à Theux le 8 juin 1853. De cette union étaient nés dix enfants et le ménage habitait à Marché dans le quartier des Forges. Il travaillait dans le bois et exerçait le métier de « fahneu »[[Fah(e)ner : en wallon : faire des fagots.]], il coupait et assemblait les branches pour en faire des fagots (en wallon : fahène ou faguenne) et les revendait pour alimenter les fours des boulangers, c’étaient alors des « mossades du fornai », (fagots fait avec des branches encore feuillues) ou d’autres types de fagots destinés aux foyers des usines. Ces fagots étaient liés avec des liens (wallon : hart) que ces ouvriers confectionnaient eux-mêmes à partir de fines branches de bouleau.

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Ce 26 mai 1908, Jean Demaison se livrait à son travail habituel, sur le lot qui lui avait été attribué dans le bois du Staneux. Quelques 10 mètres plus bas, un autre « fahneu », un compagnon nommé Cuvelier se livrait au même travail. Les deux hommes avaient l’habitude de casser la croûte ensemble, mais ce jour-là à midi Cuvelier cria à son compagnon de manger seul et continua sa besogne.
Vers 17 heures le garde forestier qui passait régulièrement veiller à ce que chacun respecte bien le lot lui attribué, fut surpris de voir Jean Demaison encore assis sur un rocher une tartine à la main. Comme ce dernier ne répond pas à ses appels, il s’approche, le prend par le bras et s’aperçoit que Jean Demaison est mort depuis plusieurs heures, certainement en dînant. Le garde hèle Cuvelier, lui apprend la mort de son compagnon et le prie d’aller prévenir avec ménagement l’épouse de Jean. Notre brave homme s’en fut trouver Marie-Elizabeth et tout de go lui dit « Babette, d’ju vin t’annoncî qu’on va t’raminé ti homme qu’est mwèrt è bwès »![[Je viens t’annoncer qu’on va te ramener ton mari qui est mort dans le bois.]] Ses enfants fabriquèrent une croix en bois toute simple qui fut fichée dans la pierre où Jean avait pris son dernier repas, on y apposa une plaque de zinc avec l’inscription ci-dessus gravée et peinte en lettres gothiques. Malgré sa situation isolée, la croix fut toujours bien entretenue par la famille Demaison, particulièrement par son fils Armand qui, à sa mort, chargea ses fils de continuer la tradition et aujourd’hui, c’est notre ami Elie qui remplit cette mission, ayant d’ailleurs dû confectionner une nouvelle croix. espérons que longtemps encore cette croix d’occis[[Croix d’occis : croix placée là où une personne a été tuée, par extension où morte inopinément.]] continue à rappeler le souvenir d’un brave ouvrier de nos bois, tant de croix de ce type élevées parfois dans un matériau bien plus durable, la pierre, ont fini par disparaître, victimes de la négligence ou de l’indifférence.

Pour les Chroniqueurs du Marquisat

Pays de Franchimont N° 547 de décembre 1991

A. GONAY

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