Une ferme de 1165
L’ancienne ferme de Jevoumont, dite des dîmes, datant de 1165, tout autant que son histoire au cours des siècles éveillent toujours la curiosité des touristes. Réunissant le peu de renseignements que je possède à certaines notes recueillies dans un manuscrit d’un Theutois né en 1770, je parviendrai à satisfaire quelque peu cette curiosité.
Jusque fin du XIème siècle notre territoire Franchimontois couvert de forêts giboyeuses et impénétrables, demeurait très peu peuplé ; dans le but de remédier à cet état de choses, le prince-évêque fit appel à des colons libres qui, moyennant une taxe très minime, seraient autorisés à se procurer dans les forêts domaniales, des chênes pour charpentes, bois de chauffage, foin et glands pour bestiaux et surtout à essarter à volonté.
Droits perpétués jusqu’à fin du XVIIIme siècle. Vu le peu d’initiative des Franchi- montois qui aimaient surtout la pêche et la chasse, on ne choisissait que des familles assez nombreuses possédant les qualités requises pour améliorer cette situation peu brillante.
Plusieurs de ces familles ne tardèrent pas à arriver avec leur personnel ouvrier et deux de celles-ci du nom de Thonnon et de Sénard, venues de Hesbaye, optèrent pour la région très boisée qui plus tard devint le hameau de Jevoumont. Les deux chefs de famille préférant l’emplacement le plus rapproché de Theux, ils tirèrent à la courte paille et le lieu convoité échut à Thonnon ; et les Sénard s’établirent non loin de là.
Des ouvriers maçons, menuisiers, etc., recrutés aux bords de la Meuse vinrent aider les colons à la construction de leur home.
Les nouveaux venus s’en donnaient à cœur joie, on déboisait, on retournait la terre on semait… et récoltait, à l’admiration de nos ancêtres, qui, stimulés par l’exemple, abandonnaient peu à peu chasse et pêche pour les imiter. On voyait ici et là, apparaître de petits troupeaux de moutons.
Revenons maintenant à nos deux familles Thonnon et Sénard, qui au cours des ans qui se succédaient, voyaient leur exploitation prospérer, leurs cultures s’étendaient et leurs troupeaux de moutons couvraient les heids non cultivées ; ils se procurèrent de belles vaches, qui firent sensation.
Les Sénard voyaient non sans chagrin, leur grande famille se marier et se disperser quelque peu ; tandis que les enfants Thonnon, mariés avec de la jeunesse de Theux et environs, bâtissaient et s’établissaient le plus près possible de leurs parents et formèrent ainsi une petite agglomération qui ne tarda pas s’agrandir et peu à peu le village de Jevoumont se créait. Ce fut vers cette époque que, en prévision des attaques dirigées contre les habitants des campagnes par les bandes de pillards qui se multipliaient, qu’un Thonnon, afin de protéger les habitants du village qui étaient presque tous ses parents, fit ériger deux tours pour s’y réfugier et se défendre en cas d’alerte. Sénard voulant suivre son exemple fit également construire 2 tours. Vers 1400 une des descendantes des Thon- non et son mari Jehan Lînot (Léonard ? ) se fixèrent dans la vallée, entre Jevoumont et Heid Copette, où coule le ruisseau de Targnon.
Leur ferme bâtie dans une prairie m’appartenant actuellement fut abandonnée par un de leurs descendants ; tombée en ruines, elle est depuis longtemps disparue complètement et la prairie porte encore le nom de A l’vîle seize ». Un descendant de ce Jehan Lînot avait fait transformer ses deux prénoms Jehan et Lînot en J. Jehin et leurs anciens terrains portent encore le nom de u Fond Jehin ». Je possède encore une copie d’un acte de donation du 10 février 1530, au nom de Jehan Lînot et son épouse, fille Jehan Lînotte ?Suite à la belle situation obtenue chez nous, grâce à leurs efforts et leur intelligence, Sénard et Thonnon étaient reconnus comme notables dans la contrée et lors de la signature du u Grand Record de Theux en 1431 les noms d’un Sénard et Thonnon de Jevoulmont y figurent en bonne place.
Hélas ! tout passe, ce fut le cas pour les Sénard et leur belle ferme, constamment transformée en mieux, devint vers 1555 la propriété d’une famille du nom de de la Haye, qui donna son nom à la propriété.
Un des descendants de cette famille, Gérôme de la Haye fut curé de Theux en 1684 et mourut le 22 février 1744.
Cette ferme très ancienne (Seize à l’haïe) est aujourd’hui, propriété du baron J. de Grand-Ry-Leirens.
Quant à la ferme des dîmes des Thonnon au style peu différent de celui de la ferme Sénard, elle fut aménagée de façon à permettre au Thonnon propriétaire de l’époque, de s’occuper des dîmes ; opération qui l’obligeant de taxer… en douceur la région habitée en majorité par ses parents, n’étant guère rentable, ne pouvait durer. Les habitations qui, au cours des siècles se groupaient près de la grosse ferme. transformées à maintes reprises par les propriétaires qui se succédaient et quelques autres qui de temps à autre venaient s’y installer, le village qui prenait plus d’importance devint le Jevoumont que nous connaissons. Malgré les guerres qui souvent ravageaient notre contrée, le Franchimontois, grâce au travail opiniâtre des habitants, améliorait son industrie du fer et ses exploitations agricoles.
Ce fut alors que le destin qui toujours leur était favorable commençait à s’acharner sur la famille Thon- non dont les derniers membres de la famille toujours demeurés dans le village se dispersèrent les uns après les autres. Voyant déserter ses proches parents et vu son âge avancé, le dernier occupant de la ferme résolut, bien à contre cœur, d’abandonner celle-ci fruit du grand labeur de ses ancêtres.
Source: “Pays de Franchimont mai 1962”