Anciennement, chaque contrée avait ses coutumes plus ou moins ancrées dans l’esprit des ahbitants, mais de nos jours, beaucoup de celles-ci sont tombées dans l’oubli. Notre Pays de Franchimont n’avait pas échappé à la règle, seulement, de tout temps le Franchimontois a toujours eu un goût très prononcé pour les choses du passé : c’est pourquoi, malgré les années écoulées et les vicissitudes de notre vie moderne, des vestiges assez conséquents de ces vieilles coutumes sont arrivés jusqu’à nous. Si actuellement celles-ci se sont plus ou moins adoucies, sachez que primitivement certaines avaient un caractère beaucoup moins scabreux. D’autres, très naïves, feraient sourire nos contemporains.
La kermesse d’Oneux très tôt au printemps, attirait à la fête de Saint Georges une foule de jeunes gens de la vallée de Theux, n’oubliant jamais de se munir de leur «djoli bordon». Saint Georges était invoqué contre les maux de tête et d’oreilles; si vous souffriez d’un de ces malaises, on vous plaçait sur la tête une couronne de fer et ainsi coiffé, après avoir fait trois fois le tour de l’église en priant le Saint, l’affection disparaissait.
A Tancrémont, grand espoir de notre jeunesse féminine, nos jeunes filles souhaitant un fiancé, venaient mordre à belles dents dans la grille placée devant le Bon Dieu, à l’intérieur de la Chapelle. Elles s’amenaient à deux et pendant qu’un faisait le guet, l’autre accomplissait l’opération.
Si tu cherches un galant
Vers ce lieu sans attendre
Dirige-toi vivement
Et si de tes dents blanches
La grille tu as mordu
Dans 52 dimanches
L’époux sera venu
Certaines d’être exaucées, c’était alors la qualité de l’époux qui intéressait la demoiselle : qu’à cela ne tienne, elle cueillait une marguerite, l’effeuillait, pétale par pétale “bai, laid, vix, vèf, djône, houlé, djerbou” et était renseignée. Serai-je heureuse en ménage? Vite elle cherchait dans l’herbe tendre un trèfle à quatre feuilles. Cette recherche demandait beaucoup d’attention; mais enfin, ce n’était pas payer trop cher un bonheur durable.
Tancrémont la nuit de Noël, illuminait et pavoisait; souvent, un orchestre invitait la jeunesse à la danse et les bouquettes étaient de la partie. Une petite remarque à propos de bal, aujourd’hui, sitôt une danse finie une autre commence et cela continue sans arrêt; au temps de nos grands-mères, c’était différent, entre une polka et une mazurka, tous les couples, bras dessus, bras dessous, et l’un suivant l’autre, tournaient posément autour de la salle, devisant joyeusement pendant cinq à dix minutes. Ils ne s’éreintaient pas et … c’était la mode.
Combien de nos vieilles maisons sont encore pourvues d’une petite niche ou «potale» située au-dessus de la porte d’entrée et où des mains pieuses logeaient une statuette censée attirer sur la maison les bénédictions divines.
Pâques était déjà également la fête des œufs. Dès le matins sous les beaux arbres de la petite place face à l’église «lu porminâde» on «caquait» aux œufs; le propriétaire de l’œuf cassé devait le céder à son partenaire plus chanceux, ce qui occasionnait souvent de petites querelles. Depuis sa construction primitive vers 1675, de combien de ces petites scènes locales le presbytère n’a-t-il pas été témoin?
Place du Petit Vinâve, à l’endroit où l’arbre de la liberté fut planté vers 1793, des joueurs clandestins «caquaient» aussi aux œufs (côtés à un prix beaucoup plus élevé que la valeur réelle).
C’était à cette place également que le herdier de Theux rendait ses comptes aux différents propriétaires de son troupeau. Que de discussions pour une bête égarée ou une contravention résultant d’une non observance «d’ébannon» interdisant l’accès d’une pâture…
Voici l’Epiphanie (fête des rois) et nos “hèieux” venant chercher la part du pauvre. Cette coutume est bien près de disparaître. Quelques bribes de leurs chants sont parvenues jusqu’à notre époque; nos anciens possédaient déjà dans leur répertoire une sorte de complainte qu’ils réservaient à ceux qui n’obtempéraient pas à leurs … prières. C’était du chantage mais il réussissait toujours, nos “hèieux” chantaient à tue-tête et avant la fin l’huis s’ouvrait violemment et une main rageuse exauçait leurs … supplications. A l’épiphanie aussi le boulanger distribuait généreusement le “cougnou” ‘(gâteau) dont on se régalait copieusement. Disparue cette belle tradition…
Si le Franchimontois aimait bien manger, il ne rechignait jamais devant un bon verre à boire. A l’occasion d’une naissance, l’heureux père se trouvait dans l’obligation d’inviter au moins six derniers nouveaux “papas” de la localité à venir vider quelques rasades en l’honneur du nouveau né. Si notre homme n’avait pas les moyens de payer les libations, les invités apportaient quelques cruchons. Cette beuverie s’appelait alors “ramouï l’botroûle”. Celui qui ne se conformait pas à cet usage pouvait s’attendre à toutes les espèces de représailles de la part de ses confrères lésés.
Une autre coutume qui résista longtemps avant de disparaître fut celle concernant les neuvaines. Quand un décès endeuillait une famille, tous les habitants le soir venu se groupaient devant la croix la plus proche de la maison mortuaire, y attachaient une petite lanterne et pendant plusieurs soirées priaient avec recueillement pour le défunt. En temps de sécheresse prolongée, la même pratique pieuse se reproduisait au centre du hameau. Plus tard, quelques mauvais plaisants venant troubler les actes de dévotion provoquèrent peu à peu leur disparition.
Le “pèltetch” ou charivari, aujourd’hui très rare, n’est plus qu’une gaminerie très anodine. Il fut un temps où toute la jeunesse y participait. Si la personne visée avait le bon esprit d’inviter les manifestants à boire à sa santé, tout le chahut avait des chances de cesser. Malheureusement, cela ne finissait pas toujours si paisiblement et il est arrivé à Theux qu’un brave ouvrier revenant de son travail fut atteint mortellement par un coup de feu.
Le “veuïètch” ou veillée funèbre. Celle-ci est pour ainsi dire tombée en désuétude. On se réunissait pour une veillée funèbre, les uns priaient, les autres racontaient des blagues. Pour finir, si les proches parents du mort se retiraient, le “veuïètch” risquait de dégénérer en comédie. Il n’était pas rare d’entendre dire “Dju m’a co mix plait à veuïètch qu’à on mariétch”.
Au nouvel an, bonne journée pour les gosiers désséchés, c’était l’habitude que les cafetiers versent à boire à “l’oeil” à leurs clients habituels. Aussi, profitant de l’aubaine, des resquilleurs faisaient le tour de tous les débits de boissons de la localité, au grand dam de leur équilibre.
Les baptêmes, généralement des cérémonies qu’on faisait à pied, voyaient la jeunesse de Theux harceler le parrain et la marraine : “on cent parrain” et celui-ci de s’empresser de jeter la poignée de menue monnaie, recherchant souvent les endroits les plus boueux, afin de voir patauger les gosses, et cela continuait jusqu’à la rentrée au logis. Si par malheur le parrain ne s’exécutait pas, la marmaille de crier “parrain â trawé sètchet”.
Le mardi gras, les ménagères étaient à la recherche de choux-verts pour le dîner. Celui qui le mardi gras ne mangeait pas “dè l’vétt djott” était mangé des “mohettes”.
La nuit de Noël, beaucoup de particuliers de la commune déposaient à l’extérieur de leur habitation une tranche de pain qu’ils se partageaient en famille au premier repas du matin; le fermier ajoutait du foin pour répartir entre ses bêtes.
De ce temps, un jeune homme qui voulait courtiser se présentait chez sa choisie avec un beau bouquet; si par la suite, la jeune fille ne voulait plus de lui, elle déposait à l’entrée de son logis un gros balais, le fiancé comprenait.
Si nos ancêtres avaient quelques sujets d’étonnement ou de stupéfaction, ils se signaient en vitesse, d’où la locution encore utilisée aujourd’hui “on freu bin on creu”.
S’ils devaient franchir un pont, ils ne le faisaient qu’après avoir craché trois fois dans la rivière. Le mauvais sort était conjuré. Mais ils avaient beau cracher dans l’eau, quand ils devaient passer sur le vieux pont de Polleur, ils étaient toujours “lawés”.
R. Tieffels, Pays de Franchimont Avril et Mai 1949